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Narration et GWT (2ème partie)

L’architecture cognitive de la narration (GWT)

Pour nous faire une idée de l’effet que la narration peut avoir dans notre cerveau, nous devons nous pencher sur la théorie de l’espace de travail global (« Global Workspace Theory”, GWT) telle que Bernard Baars (né en 1946) l’a décrite entre 1988 et 2002. Elle nous fournit un modèle explicatif qui correspond à l’architecture cognitive et à la structure de la conscience.

Elle est basée sur le concept de mémoire de travail (“Working Memory,” WM). Cette dernière a été développée par le psychologue britannique Alan Baddeley (né en 1934) en collaboration avec Graham Hitch. Nous utilisons ce système cognitif, la mémoire de travail (WM), tout le temps, mais elle a une capacité très limitée pour stocker temporairement des informations.

La mémoire de travail (WM) est l’espace interne dans lequel nous nous répétons des numéros de téléphone et « continuons l’histoire de notre vie ». Elle est importante pour la pensée logique ainsi que pour le contrôle des décisions et des comportements. La mémoire de travail est souvent confondue avec la mémoire à court terme, mais la mémoire de travail permet la manipulation des informations, tandis que la mémoire à court terme se limite au stockage temporaire des informations.

Le rôle de la mémoire de travail (WM)

On explique que la mémoire de travail (WM) comprend à la fois le langage interne (la « boucle phonologique ») et l’imagerie visuelle (le « carnet de croquis visuo-spatial »). La théorie s’est ensuite étendue à un tampon épisodique qui est une intégration des informations phonologiques, visuelles, spatiales et anecdotiques de la mémoire. La mémoire de travail (WM) est contrôlée par un exécutif central. Elle doit notamment diriger l’attention sur les informations pertinentes et supprimer les informations non pertinentes ainsi que les actions inappropriées. La mémoire de travail doit coordonner les processus cognitifs lorsque plusieurs tâches doivent être effectuées simultanément. Elle joue également un rôle important dans le processus d’intégration et de stockage des informations dans la mémoire à long terme.

La scène d'un théâtre correspond à l’espace de travail global (« Global Workspace Theory”, GWT) de la narration

La théorie de l’espace de travail global (GWT) correspond à un événement « actuellement actif et subjectivement vécu » dans la mémoire de travail (WM). Elle peut être comparée à une scène de théâtre.

Le fonctionnement cognitif de la narration

Dans le « théâtre de la conscience », le « projecteur d’attention sélective » illumine un point de lumière sur la scène. Ce point révèle le contenu de la conscience.

Les acteurs entrent et sortent de cet endroit. Ils font des discours ou interagissent. Le public, en revanche, n’est pas éclairé. Ils restent dans l’ombre et dans l’obscurité qui entoure la scène. Ils regardent le spectacle sans se faire remarquer. Dans les coulisses, on trouve aussi le réalisateur (les processus d’exécution), les scénographes, les machinistes et encore d’autres intervenants. Ils donnent forme à tous les événements visibles dans la zone de lumière, mais restent eux-mêmes invisibles. On peut aussi dire qu’ils restent dans l’ombre du raisonnement.

Dans la terminologie classique de la psychanalyse, nous dirions qu’ils restent inconscients.

Neurosciences et psychanalyse

C’est à Sigmund Freud que l’on doit la première identification et l’étude de ce phénomène d’un point de vue clinique, il y a plus d’un siècle. Il n’a pas été formé en psychiatrie. Cependant, dans sa jeunesse, il a participé à des recherches scientifiques, comme l’utilisation médicale de la cocaïne, et a conçu un schéma physiologique pour expliquer l’aphasie en se basant sur les connaissances médicales de son époque.

Nul doute qu’il aurait été ravi de voir les nouveaux instruments d’investigation scientifique permettant d’étudier le fonctionnement du cerveau. Elles commencent aujourd’hui à nous permettre d’apporter des explications aux phénomènes qu’il a observés et qui sont restés dans l’ombre du raisonnement jusqu’à aujourd’hui.

 

Dans la scène d'un théâtre (« Global Workspace Theory”, GWT) les personnage de la narration prennent leur places et restent souvent en-dehors du champs visible

L’espace de travail global (GWT) est une mémoire transitoire qui dure quelques secondes — beaucoup plus courte que les 10 à 30 secondes de la mémoire de travail classique (WM). La « WM » peut être comparée à la « RAM » (Random-Access Memory) des ordinateurs si nous utilisons l’analogie du fonctionnement des ordinateurs avec le cerveau humain.

L’avalanche neuronale

Stanislas Dehaene (en 2014) nous a fourni un modèle qui explique comment les informations sur l’espace et le temps sont intégrées dans les nombreuses zones du cerveau, notamment le cortex préfrontal, le lobe temporal antérieur, le lobe pariétal inférieur et le précuneus. Elles sont ensuite transmises sous forme d’une « avalanche neurale » lorsqu’elles sont combinées pour former une véritable vision d’ensemble.

Une seule interprétation cohérente peut alors être formée à partir des nombreuses informations différentes que nous recevons des organes sensoriels, par exemple un « papillon bleu » qui s’approche. Cette interprétation est ensuite transférée dans l’espace de travail global (GWT) où elle crée un état de conscience spécifique.

Les neurones miroirs

Une autre façon pour la narration de trouver une place dans notre cerveau est la stimulation des neurones miroirs. Nous savons que ces neurones s’allument dans le cerveau aussi bien lorsqu’une personne agit et lorsqu’elle observe une action similaire effectuée par une autre personne. À ce niveau, notre cerveau ne fait aucune différence entre les informations sur ce que nous faisons nous-mêmes et les informations sur les actions d’une autre personne qui nous parviennent par le canal optique (vu avec les yeux) ou par le canal phonétique et acoustique (entendu avec les oreilles).

Chaque fois, il y a la représentation d’une « expérience » dans le cerveau qui peut conduire à la libération de dopamine ou d’autres neurotransmetteurs qui, à leur tour, produisent une certaine disposition émotionnelle. Cela détermine nos réactions et peut faciliter le processus de la mémorisation. Des fonctions spécifiques dans le cerveau (couplage neural) nous permettent ainsi de relier une action ou l’histoire d’une action vécue à nos idées et à nos souvenirs.

Cela nous fournit une explication compréhensible des processus qui donnent tant d’impact au récit d’une narration.
N'hésitez pas à partager cette information avec vos amis !
  • Bonjour Dieter,
    Merci pour cet article.
    Le paragraphe sur « Les neurones miroirs » m’interpelle.
    Je les connaissais notamment dans le cadre de l’apprentissage d’un enfant pour parler et marcher mais delà à dire qu’ils permettent au cerveau de se synchroniser
    sur ce que fait la personne en face de nous, c’est bluffant.
    Sais-tu si le comportement est similaire quand on regarde un film ?
    Sais-tu aussi si la quantité de neurones miroirs diffèrent selon les individus et si elle évolue avec l’âge ?
    Je pense notamment aux imitateurs qui reproduisent la voix et les mimiques de personnes connues à s’en méprendre…
    Auraient-ils une quantité de neurones miroirs supérieure à la moyenne ?

    Je ne sais pas si les recherches sont assez avancées sur le sujet pour répondre à ces questions… :-/

    • Les neurones miroirs sont activés lorsque nous effectuons une action ou lorsque nous voyons une action en cours. Par conséquent, pour eux, il n’y a aucune différence entre une action que nous réalisons nous-mêmes et une action que nous observons être réalisée par une autre personne.

      On en a déduit qu’ils jouent un rôle fondamental dans tout type d’apprentissage, mais aussi dans les processus d’empathie et de visualisation qui permettent aux athlètes de se préparer à de grands exploits (et ce n’est pas seulement vrai pour les athlètes comme tu le sais).

      Ils entrent également en jeu lorsque nous participons à une danse dont nous ne connaissons pas la chorégraphie au départ ou lorsque nous suivons un cours de gymnastique avec l’instructeur devant nous sur scène qui montre les mouvements.

      Il est évident aussi que les imitateurs parviennent à assimiler les gestes des personnes qu’ils voient ou les particularités des voix qu’ils entendent par leur aide.

      Ils jouent sans doute aussi un rôle important dans l’hypnose lorsqu’une suggestion est fournie en décrivant un certain scénario qui est ensuite mis en action par le sujet hypnotisé.

      Ils nous permettent également de participer émotionnellement à l’histoire d’un film que nous voyons au théâtre. C’est grâce à eux que nous sommes capables de verser des larmes à la fin d’un film romantique au lieu de simplement juger la performance d’un groupe d’acteurs professionnels qui font leur travail.

      Quant à la quantité de neurones miroirs, rien ne prouve qu’il existe une différence entre une personne et une autre. Il semble plutôt que les voies inhibitrices (notamment dans la région préfrontale du cerveau) puissent modifier la force de leur influence. Mais là encore, il reste beaucoup à découvrir.

  • Jessica dit :

    C’est un sujet très complexe mais aussi très intéressant. Grâce à ton article, je comprends un peu mieux ce que c’est la GWT et la WM, et comment ils fonctionnent. Le « théâtre de la conscience » aide beaucoup à visualiser les explications, c’est top !

    • Je suis heureux que mes explications t’aient aidé à comprendre un peu mieux le fonctionnement de la narration du point de vue des neurosciences. L’analogie avec la scène de théâtre est en effet très bien trouvée, mais je dois admettre qu’elle ne vient pas de moi, mais parce qu’elle est si significative, je l’ai incluse dans mon article.

  • Julien dit :

    Bonjour. J’avais déjà lu plusieurs articles sur ce sujet mais pas expliqué avec cette analogie de la scène de théâtre. Une question cependant : est-ce qu’il faut une « état de conscience » particulier pour que les neurones miroirs s’activent ? et est-ce que la « volonté » ou le « libre arbitre » permet de « désactiver » ces neurones miroirs ? (en effet tout n’est certainement pas bon à prendre chez nos congénères !)

    • Merci, Julien, de poser cette question, qui ne doit pas être claire pour tout le monde.
      Les neurones miroirs sont activés indépendamment de notre état de conscience et sont donc au-delà de ce que nous appelons notre volonté ou libre arbitre.

      Cependant, leur message peut être modulé par des voies inhibitrices qui sont liées à notre état de conscience.

      Cela a ouvert un débat entre les chercheurs qui affirment que nous sommes nécessairement victimes de ces influences et ceux qui le nient.
      Il y a ceux qui sont convaincus que regarder des films ou des jeux vidéo violents nous prédispose à des réactions agressives (et je connais personnellement des chercheurs célèbres qui soutiennent ce point de vue), et ceux qui affirment qu’il n’y a pas de risque réel si les autres structures de la personnalité sont correctement formées.

      Personnellement, je suis de cet avis, sur la base de mon expérience personnelle en tant qu’expert psychiatrique dans de nombreux cas de comportement violent.

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