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La signification de la narration (3ème partie)

La partie implicite du discours

La véritable signification de la narration réside dans le fait que chaque forme de récit comprend un contenu explicite que nous voyons immédiatement sous la lumière claire et sensible du projecteur d’attention. Il illumine l’action sur la scène au centre de notre « théâtre de la conscience ». Mais elle comprend également des contenus implicites qui se fondent dans la zone grise qui l’entoure et qui sont difficiles à remarquer ou à contrôler.

Cette partie implicite a cependant son propre poids et sa propre influence que nous sous-estimons toujours parce que nous ne le voyons pas venir. Nous utilisons ici souvent les termes d’influence ou de suggestion, plus ou moins subliminale. Elle devient entièrement subliminale à partir du moment où nous ne voyons plus de silhouette dans les ombres qui entourent l’éclairage de la scène.

Un maître de cette signification de la narration à la conquête du monde

Steve Jobs (1955 – 2011), le fondateur d’Apple Computer, nous a fourni de beaux exemples d’un usage astucieux de la narration. Ses deux spots publicitaires qui ont fait de l’histoire ne montrent à aucun moment la marchandise qu’il vend.

En 1984 on voit une héroïne courageuse et révolutionnaire qui met fin au monde oppressant en noir et blanc prédit par George Orwell. Elle lance un marteau sur l’écran géant de Big Brother.

Dans la publicité « Think Different » de 1997, on voit une série d’images iconiques d’hommes qui ont changé le cours de l’histoire. Il n’y a aucune information ou allusion à la marchandise qu’il produit. On voit juste le logo de la marque, une petite pomme craquée toute à la fin.

Et le message est passé directement au fond de l’âme des spectateurs et n’a pas tardé à remplir les caisses du constructeur innovateur d’ordinateurs.

La même technique narrative a d’ailleurs aussi fait le succès des chaussures de sport Nike. Leurs publicités montrent exclusivement des images qui racontent les succès de grands sportifs sans donner aucune information précise sur les chaussures fabriquées par la firme.

Le champ de distorsion de la réalité (RDF)

Steve Jobs a également utilisé une forme de narration pour la présentation de ses produits qui lui est propre. Elle a été appelée « Reality Distortion Field » (RDF) de Jobs. On dit qu’il l’a appris de son ami Robert Friedland pendant son séjour au Reed College.

L’idée venait d’un épisode d’une série télévisée de science-fiction qui était très populaire dans les années 1960. Elle s’appelait Star Trek et était connue en France sous le nom de Patrouille du cosmos. Dans l’épisode en question, des extraterrestres créent leur propre Nouveau Monde en utilisant le pouvoir de l’esprit.

La narration et sa Signification

Steve Jobs, un visionnaire dans le domaine de la technologie, a pu inventer et vendre des appareils qui ont façonné le monde numérique d’aujourd’hui en s’appuyant sur son don de maîtrise de la technique de la narration.

Il a cependant atteint les limites de la RDF et a dû le payer de sa vie. Après avoir été diagnostiqué avec un cancer du pancréas, qui aurait été facile à opérer, il a décidé de se soigner, contre tout avis médical, avec des régimes à base de fruits sans fondement rationnel, l’hydrothérapie, la voyance et l’expression de ses sentiments négatifs. Sa démarche s’est alors révélée inefficace et neuf mois plus tard, sa vie ne pouvait plus être sauvée par aucun traitement médical.

Bobby Fischer l’emporte sur Boris Spassky par une signification de la narration

On trouve un autre exemple de cette forme de narration persuasive, le Reality Distortion Field (RDF), chez l’ancien champion du monde d’échecs Bobby Fischer (1943 – 2008). On dit qu’il avait une aura de « Fischer » autour de lui, ce qui a bien pu confondre Boris Spassky et d’autres adversaires.

Le charisme d’hommes politiques comme Bill Clinton et plus récemment Donald Trump appartient également à cette forme de récit avec un champ de distorsion de la réalité (RDF).

La voie royale de la narration

La narration est probablement le meilleur moyen d’accéder aux sentiments et au pouvoir de décision d’une personne. Comme nous l’avons vu, le véritable pouvoir ne réside pas, comme beaucoup peuvent encore le croire, dans le faisceau lumineux relativement étroit du projecteur de notre domaine de raisonnement (Global Workspace Theory-GWT). Il se trouve dans l’ombre du champ de vision, qui est beaucoup plus large. Il est rempli d’une foule de spectateurs qui ne parlent pas à voix haute.

La signification de la narration en thérapie

L’application psychothérapeutique de la narration, parfois appelée thérapie narrative, utilise une compétence pour influencer les autres en leur racontant une histoire, explicite ou implicite, sur leur dilemme personnel.

L’approche narrative décrite par Michael White et David Epston en 1990 (« Narrative Means to Therapeutic Ends ») part de la base que les réalités sont socialement construites. Lorsque quelqu’un raconte une histoire, il choisit certains éléments. La thérapie vise alors à les aider à comprendre l’influence de certaines histoires dominantes (qu’elles soient culturelles, sociales ou familiales) et à créer de nouvelles histoires qui, à leur tour, contiennent de nouvelles perspectives et interprétations. Elles ouvrent la porte à de plus grandes possibilités dans leur vie. Cette approche repose sur l’hypothèse qu’il n’existe pas de vérités fondamentales dans ce domaine, mais uniquement de nombreuses possibilités d’interprétation d’une expérience. Aucune interprétation ne peut être considérée comme « vraie » dans un sens absolu et le thérapeute narratif vise à soutenir le développement d’interprétations qui favorisent la croissance (comme dans les exemples de RDF décrits ci-dessus).

Un moyen pour prendre du recul et entrevoir des solutions

Les principes fondamentaux de la thérapie narrative sont le respect de la liberté d’action et de la dignité du client, l’évitement du blâme (en séparant la personne de ses problèmes) et la reconnaissance du client en tant qu’expert. Lui seul connaît intimement sa propre vie et possède les compétences et les connaissances nécessaires pour changer de comportement et résoudre les problèmes. En général, la première étape consiste à aider le client à exprimer verbalement ses problèmes. Cette étape de la narration est également le premier pas pour l’aider à tirer des leçons de son expérience et à y trouver un sens.

La technique d’externalisation (un autre volet de la signification de la narration) qui en résulte amène le client à considérer ses problèmes et ses comportements comme extérieurs à lui. Ils ne sont plus une partie immuable de lui-même. Dans une phase ultérieure de « déconstruction », les problèmes auxquels le client doit faire face sont réduits. Il pourra désormais avoir accès à une « vue d’ensemble » qui rendra tout plus facile à comprendre. Il pourra alors constater que les problèmes qui se présentaient accablants, déroutants et non résolus il y a peu de temps seulement ne sont pas vraiment insolubles.

 

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  • flinterieur dit :

    Très intéressant comme sujet « la narration », les exemples sont parlant !

    • La recherche d’exemples parlants est en effet un des principes de base de tout narratif. L’équivalent pour le canal visuel serait la phrase bien connue et souvent répétée qu’une image vaut mille mots.

  • Marie dit :

    Merci pour cette série d’articles passionnante. Les différents angles que tu as développé permettent de changer de regard sur la narration et les histoires qu’on se et nous raconte 😉

    • On dit souvent, et je pense que ce n’est pas faux, que la narration est aussi vieille que l’humanité. Il s’agit probablement de la plus ancienne forme de transmission du savoir et elle est encore utilisée aujourd’hui pour transmettre l’enseignement religieux (et pas seulement dans le monde chrétien).
      Les histoires qui sont racontées aux enfants (contes de fées) de génération en génération remplissent également cette fonction : elles transmettent un ensemble de valeurs sociales et morales qui définissent notre mode de vie et notre vision du monde.

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