Des « smart-drugs » pour mieux passer les examens
Il m’est souvent arrivé de voir des étudiants qui ne souffraient pas de problème médical particulier, mais qui venaient me consulter pour me demander de leur prescrire un médicament (« smart-drugs ») pour mieux réussir aux examens.
C’est un paradoxe, parce que la vocation des médicaments est de posséder des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines (ou animales). Elle n’est pas d’aider à aller au-delà des capacités normales, même si un tel usage non conforme n’est pas si rare dans des domaines comme la musculation ou les sports de compétition (doping).
Dans notre civilisation, les capacités intellectuelles sont actuellement encore plus valorisées que les performances physiques. Il y a même des parents qui estiment que l’usage d’une substance pharmacologique qui stimule ces capacités chez leur enfant puisse être un bon investissement pour l’avenir.
« Nous n’utilisons que 5% de notre cerveau »
Il y a actuellement toute une mythologie médicale et pseudomédicale autour des potentiels dormants et non utilisés du cerveau. Elle remonte à une ancienne expérimentation neurophysiologique au cours de laquelle on avait stimulé différentes régions du cerveau humain avec une sonde électrique. En appliquant cette stimulation à certains endroits qu’on trouve de nos jours bien cartographiés dans les atlas fonctionnels du cerveau, on a pu observer une réaction précise comme le mouvement d’un doigt ou une réaction à l’échelon du langage verbal. Ces endroits actifs correspondent à environ 5 % de la masse globale du cerveau.
En stimulant les 95 autres % des régions du cerveau avec cette même sonde électrique, il ne s’est cependant produit aucun autre effet mesurable. Cela avait fait dire à ces premiers observateurs que « nous n’utilisons que 5 % de notre cerveau ». C’est devenu un dogme, qui se perpétue aujourd’hui dans toutes sortes de publications non médicales, même si l’on reconnaît parfois qu’il s’agit de 10 %, voire de 20 % de notre cerveau que nous utiliserions pour ceux qui se montrent plus généreux.
Or l’actuelle imagerie fonctionnelle du cerveau montre bien que toute notre masse cérébrale est constamment utilisée. Même si l’on trouve parfois une certaine redondance et une délocalisation des réseaux associatifs, toute perte fonctionnelle localisée entraine une diminution de la performance globale, même si les petits incidents peuvent souvent être compensés de façon presque imperceptible.
En effet, il aurait été difficile d’expliquer par quel caprice de la nature l’organisme humain dont les fonctionnalités sont toutes aussi optimisées que possible se concède ce luxe, de maintenir inactif 95 % du système nerveux central. Et d’autant plus que nous savons que le cerveau consomme en permanence 20 % de toute l’énergie disponible.
Le mythe des possibilités illimitées
Cependant, comme toutes les bonnes histoires, cette légende de l’utilisation incomplète du cerveau a la vie longue. Nous la trouvons encore par exemple dans le roman « Champs de ténèbres » d’Alan Glynn de 2001 d’où le film et la série télévisée « Limitless » ont été tirés. Ici, un médicament nootropique appelé NZT-48 donne la possibilité d’utiliser pleinement le cerveau et d’améliorer considérablement le mode de vie. Un jeune écrivain en manque d’idée peut ainsi devenir le futur président des États-Unis.
Mais en dehors des scénarii de la science-fiction, est-ce qu’on ne peut pas quand même s’attendre à des effets positifs sur la capacité de mémorisation par le vaste arsenal thérapeutique actuellement disponible ?
Et si c’est le cas, est-ce qu’il ne faudrait pas envisager à réglementer l’emploi de ces manipulations artificielles qui donnerait alors un avantage injuste et déloyal à ceux qui y ont recours ?
Pour répondre à ces questions, nous devons d’abord regarder de plus près de quoi nous parlons, car le catalogue des options concernées est plutôt large.
Les moyens psychologiques
Les gens qui vont consulter un médecin spécialiste y vont souvent dans l’attente de repartir avec un remède miraculeux qui peut résoudre toutes leurs difficultés sans demander aucun effort d’eux. Cela n’est cependant pas forcément la solution la plus efficace.
Lorsqu’il s’agit des capacités neuropsychologues, leur attitude au sujet des matières à étudier compte également beaucoup et joue souvent un rôle encore plus important que les substances et médicaments qu’ils peuvent absorber.
Il vaut toujours mieux chercher à comprendre les choses qu’on veut apprendre. S’il s’agit de mémoriser une quantité de données qui n’ont pas vraiment un sens cohérent, j’ai souvent conseillé de recourir à des moyens de mnémotechniques. Elles ont déjà fait leurs épreuves dans l’antiquité avant d’avoir été bannies de l’éducation par les religieux bien intentionnés qui y voyait un recours volontaire à des représentations diaboliques et des idées immorales.
Les méthodes SEL et SAC
Une version contemporaine en a été formulée par Sébastien Martinez qui a participé et gagné plusieurs championnats de mémoire en France et aussi à niveau international entre 2015 et 2018. Dans son système de mémorisation, la méthode SEL (de « Sens, Enfant, Lien »), il s’appuie sur la production d’une imagination débordante avec un vrai retour à l’enfance. On se réjouit à créer des histoires d’une fantaisie extraordinaire pour mettre en scène les mots à retenir. Pour faciliter les liaisons entre les informations, il a formulé sa méthode SAC (de « Sélection, Association, Connexion »). D’autres approches pour mémoriser des chiffres ont déjà été formulées au XVIIe siècle par Pierre Hérigone et Johann-Just Winckelmann.
Le palais de la mémoire de Matteo Ricci
De telles techniques étaient cependant déjà populaires parmi des moines au Moyen Âge. C’est à cette époque que la technique des lieux (« loci » en latin) a été formulée. Nous la retrouvons dans le « palais de la mémoire » de Matteo Ricci et du jésuite Artus de Leys en Chine et aussi plus récemment dans le roman à succès de Thomas Harris, « Hannibal ».
On peut critiquer la pertinence de telles démarches artificielles de mémorisation qui n’ont pas besoin d’une quelconque compréhension, mais elles se passent de toute substance pharmacologique.
Les moyens pharmacologiques
Je ne m’attarde pas ici sur les substances illégales comme la cocaïne et le LSD. Elles ont été étudiées et testées à partir du XIXe siècle par des scientifiques comme Sigmund Freud et des personnages littéraires comme le fameux Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle. Leurs expériences nous ont enseigné qu’elles produisent plus d’effets négatifs que positifs, même si nous continuons d’entendre de personnes du monde des spectacles ou de la bourse qui en consomment pour agir sur leurs capacités naturelles.
Une autre substance qui agit également sur le système nerveux d’une façon négative, mais qui est acceptée et tolérée dans notre société est l’alcool. À part un modeste effet désinhibiteur passager, on ne lui reconnaîtra cependant pas beaucoup de vertus positives en relation avec le déploiement des capacités cognitives.
Un étudiant en médecine sur quatre prend des « smart-drugs »
L’utilisation de médicaments aux effets pharmacologiques pour « booster » les capacités cognitives n’est pas rare chez les étudiants. Une étude menée en 2006 avait relevé que 24,8 % des étudiants en santé (médecine, pharmacie, paramédical), 22,1 % des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles et 20,0 % des étudiants en droit et en sciences politiques ont déclaré d’en prendre. Une enquête par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en 2015 a trouvé des chiffres comparables au niveau des écoles. Un lycéen sur six (16 %) déclarait avoir pris au cours des 12 derniers mois un produit dans le cadre de la préparation d’un examen. Une autre enquête en 2015 auprès de 1 700 étudiants en médecine démontrait que 30 % d’entre eux consommaient des stimulants pour accroître leurs capacités.
Il y en a qui utilisent des substances édifiantes qui aident pour se relaxer et diminuer la pression. On trouve dans cette catégorie notamment les compléments alimentaires (vitamines, enzymes, acides aminés), mais aussi l’homéopathie et le recours à des plantes comme la rhodiola rosea qui peut produire des effets comparables à ceux de la dopamine. On a aussi appelé la dopamine notre « neurotransmetteur du bonheur ». Il agit sur le principe de la récompense, du plaisir et du bien-être.
Mais généralement, ce sont plutôt les substances stimulantes qui sont utilisées dans le but de « booster » les capacités cognitives.
La caféine
Il s’agit de la « drogue » la plus populaire utilisée pour stimuler les capacités intellectuelles et physiques. Lorsqu’on parle de théine, c’est toujours la même molécule, à savoir la méthylthéobromine qu’on trouve d’ailleurs également dans le chocolat, mais elle y est à un dosage dix fois moins fort que dans le café. Il a été établi qu’aux États-Unis neuf personnes sur dix consomment de la caféine quotidiennement à des doses psychoactives. Il y a cependant des adeptes religieux comme les mormons et des gurus hindous qui l’évitent.
La caféine est également commercialisée sous forme de comprimés (notamment le Guronsan® et le Sarvit®) et proposée aux étudiants en période d’examens. Chaque comprimé contient 50 mg de caféine, soit autant qu’une canette de coca-cola et à peu près la moitié de la dose contenue dans une tasse d’expresso. Une canette de Red Bull contient 80 mg. Des études ont montré que l’effet de la caféine provenant de ces comprimés était strictement identique à celui d’une tasse de café contenant la même quantité du principe actif.
Or la consommation de la caféine est soumise à un effet de tolérance. Notre organisme s’adapte de sorte que les réactions normales de fatigue seront maintenues à la longue, indépendamment de la dose de caféine à laquelle une personne sera habituée. Ainsi l’efficacité de la caféine (tout comme pour la plupart des autres drogues) se limite à la phase initiale de la consommation. À ce stade, la caféine ralentit la sensation de fatigue sans pouvoir éliminer le besoin physiologique de sommeil.
Vous pouvez être empoisonné par le café
Une surconsommation de caféine (dès 600 mg, soit 12 comprimés ou 6 cafés) provoque généralement des signes d’intoxication. On peut alors souffrir d’insomnie, de troubles digestifs et de douleurs abdominales, de nausées, et de vomissements, ainsi que de palpitations, de troubles comportementaux (irritabilité, anxiété, agitation).
L’arrêt d’une consommation habituelle de caféine entraine des signes de sevrage. On ne souffre pas seulement de la fatigue, mais souvent aussi de maux de tête, de nausées, et de l’anxiété, de l’irritabilité, et une incapacité à se concentrer.
Donc, même si l’usage de la caféine comme stimulant est socialement accepté et souvent même recommandé, son efficacité est limitée dans le temps. Son utilisation ne doit pas excéder des périodes relativement courtes, contrairement à ce qu’on voit généralement.
Les « smart-drugs »
On les a appelées les « médicaments de l’intelligence », mais est-ce qu’ils méritent vraiment ce nom ?
Il s’agit de médicaments disponibles sur ordonnance.
J’ai été très surpris de découvrir, il y a quelques années que ces médicaments que j’avais l’habitude de prescrire pour quelques pathologies précises du sommeil et de la vigilance fussent beaucoup plus utilisés en dehors des maladies pour lesquelles ils sont officiellement prévus.
Le méthylphénidate (Ritalin®) présente deux effets opposés
C’est le cas du méthylphénidate (Ritalin®), une pipéridine qui montre des effets comparables à celles des amphétamines. Il a montré de bons effets dans le traitement des troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H). Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il peut rendre ceux qui souffrent de cette pathologie plus calme et intérieurement ordonnée. Il a un effet excitant sur le reste de la population qui ne souffre pas de cette pathologie. On l’utilise également dans le traitement de la narcolepsie et de l’hypersomnie.
Or la Ritalin® tout comme l’Adderall® ou Mydayis® (qui est une combinaison de quatre sels d’amphétamine) semble actuellement être utilisée plus souvent dans le but de booster des performances que pour soigner les maladies pour lesquelles elle a été mise sur le marché.
Il faut dire que l’usage de la Ritalin® dans ce contexte craint moins que celle des amphétamines (Adderall® ou Mydayis®). Elle ne provoque pas le même épuisement des réserves physiologiques de la dopamine, mais son usage peut également entrainer une accoutumance et une dépendance, ainsi que provoquer des épisodes psychotiques.
Le modafinil
C’est une substance très prometteuse qui a été découverte en France où elle est officiellement disponible depuis 1994 (Modiodal®).
Il permet de traiter les mêmes pathologies que les psychostimulants mentionnés avant, mais il n’a manifestement pas les mêmes inconvénients à part quelques cas de mal de tête. Il perturbe beaucoup moins le sommeil, ne provoque pas des symptômes d’euphorie et a seulement un très faible risque de dépendance.
Actuellement, 90 % de son utilisation se situerait en dehors du domaine médical et un article dans The Guardian en 2014 a constaté qu’un cinquième des étudiants en Grande-Bretagne en aurait déjà consommé.
On sait qu’il a été utilisé par l’armée française lors de la guerre du Golfe en 1991 alors qu’il n’était même pas encore autorisé en tant que médicament. Il est également utilisé par l’armée dans d’autres pays comme l’Angleterre et les États-Unis.
Jugement sur l’efficacité des « smart-drugs »
Il reste la question si une telle « smart-drug » peut actuellement tenir les promesses que les utilisateurs en attendent.
Il a été démontré que le modafinil permet de rester éveillé jusqu’à 36 heures, ce qui peut avoir une importance militaire en cas de guerre, lorsque d’autres priorités prennent le pas sur les considérations générales de santé.
Plusieurs sportifs ont utilisé le modafinil pour augmenter leur performance avant qu’il soit mis sur la liste des substances de doping interdit lors des Jeux olympiques en 2004. Il a également été interdit aux championnats d’échec.
Tout ceci suggère qu’il peut effectivement avoir un effet positif sur la performance.
En essayant de savoir plus sur cette question, je suis tombé sur une étude intéressante de 2005 qui a quantifié les effets du modafinil sur les capacités cognitives.
Il s’avère qu’il y avait des effets bénéfiques seulement chez les étudiants avec un « petit QI » (100-112), alors que l’effet chez ceux avec un QI élevé (> 112) était pratiquement zéro.
Ce qu’il faut retenir sur les « smart-drugs »
Nous avons vu que le recours à des substances dans le but de fertiliser les capacités cognitives (« smart-drugs ») n’est pas si rare comme on aurait pu le croire, mais concerne souvent au moins un étudiant sur cinq.
Le bénéfice réel de ces substances n’est cependant pas aussi évident que cela peut paraître et s’avère généralement, quand il est mesurable, limité dans le temps.
Lorsqu’une substance nous permet de rester éveillés plus longtemps, elle ne réduit pas notre besoin physiologique de sommeil. Il faudra rattraper à un moment ou l’autre ce que nous aurons gagné dans un premier temps.
L’inconvenant majeur consiste dans un processus d’accoutumance avec la perte de l’efficacité initiale et des symptômes de sevrages qui peuvent s’avérer pénibles lorsqu’on voudra s’en séparer à nouveau.
Quant à la question d’une politique par rapport à un doping intellectuel, la question se pose uniquement si sa consommation d’une substance peut effectivement augmenter les capacités naturelles de façon artificielle.
D’après les études que j’ai trouvées, cela n’est pas le cas sur le long terme. Ces « médicaments de l’intelligence » peuvent bien augmenter la présence d’esprit et la vigilance ponctuellement comme lors d’un examen et ainsi en favoriser certains qui y auraient recours lors d’un concours par exemple. Si cela leur permet d’obtenir de meilleurs résultats, cela oblige les autres à faire autant pour avoir les mêmes chances de réussite. Cela finirait par entamer la santé de tout le monde en fin de compte pour arriver aux mêmes résultats que si personne n’en avait pris au départ.
Dans cette perspective, il me paraît raisonnable de décréter des chartes antidopage aux examens comme cela a déjà été fait dans le sport de compétition. Tout le monde y sera gagnant en fin de compte et pourra éviter tout effet néfaste à long terme d’une consommation de ces substances.
Hello merci pour ce point c’est très intéressant. Bon je préfère m’en passer et compter sur les méthodes humaines et naturelles, comme les plantes et la méditation.
C’est un choix judicieux et raisonnable !